L'époque est au scepticisme ! Crise des institutions, crise des élites, crise de la presse également. Tout se passe comme si l'on jetait aux orties la parole de ceux que l'on considérait il y a encore peu de temps comme des références incontestées. Il en va ainsi du discours politique en général, mais aussi du travail journalistique en particulier. Les prises de position récentes de certains candidats à la présidentielle évoquant une sorte de complot de la presse à leur égard sont bien dans l'air du temps.

Mais ce scepticisme se double dangereusement chez certains de nos compatriotes du refus de la parole dite "officielle" pour la remplacer par des théories parfois fumeuses, souvent bâties sur du vent ou quelques rumeurs glanées au grès d'internet. L'exemple le plus criant actuellement, et à bien des égards affolant, nous vient de la théorie visant à considérer que les attentats du 11 septembre 2001 n'ont pas été perpétrés par Al Qaïda, mais par le gouvernement américain lui-même ! S'interroger est une démarche des plus louables, remettre en cause le monde qui nous entoure est salutaire ; on ne saurait que trop recommander en effet le développement du sens critique. Ici malheureusement, le sens critique s'est drapé de la toge du délire et de l'obscurantisme.

Mais les attentats du 11 septembre ne sont pas seuls en cause. On pourrait aussi citer certaines "contre-enquêtes " concernant l'assassinat de Kennedy, de Lady Di, et bien d'autres affaires où, évidemment, les gouvernements et la presse auraient menti. Le formidable succès du roman de Dan Brown, le Da Vinci Code, pose aussi question. Mais plus encore le poudroiement de respectabilité dont certains se sont amusés à l'auréoler, persuadés que Dan Brown dévoilait par le biais du roman une vérité trop longtemps cachée au commun des mortels.

Pierre-André Taguieff, Historien des idées et directeur de recherche au CNRS, s'est interrogé dans LA FOIRE AUX ILLUMINÉS - éditions Mille et une nuits - sur les origines de ces glissements opérés par la pensée critique commune.

Qu'y a-t-il de commun entre les romans à énigmes de Dan Brown, thrillers ésotérico religieux devenus best-sellers internationaux, et la masse des pamphlets d'extrême droite dénonçant des complots organisés par des puissances occultes ou semi-occultes visant à installer un " gouvernement mondial " ?

Quelles croyances et quelles passions partagent les amateurs de la série télévisée X-Files, les fans de films, de BD ou de jeux vidéo mettant en scène des sociétés secrètes ou des invasions d'extraterrestres, les consommateurs immodérés de nourritures " ésotériques " en tout genre, et les demi-savants peuplant le monde des " historiens alternatifs ", dénonciateurs fanatiques du " complot mondial " ?

En fournissant des éléments de réponse à ces questions, Pierre-André Taguieff nous invite à explorer la nouvelle culture populaire massivement diffusée sur Internet, ce qu'il faut bien appeler le bazar de l'ésotérisme.

Ce livre constitue une réflexion exigeante sur les formes contemporaines du croire hors des frontières strictes du religieux institutionnel et du champ idéologico-politique. Il s'inscrit dans la série des ouvrages publiés par Pierre-André Taguieff depuis La Force du préjugé (1988), dont l'ambition commune est d'élaborer une anthropologie historique de la modernité, à travers l'analyse des représentations, des valeurs et des croyances saisies dans leurs origines et leurs métamorphoses.

Lire Pierre-André Taguieff est salutaire et permet de prendre du recul par rapport à ces "théories du complot" qui en se développant chez les plus crédules d'entre nous, notamment grâce à internet, risquent de saper les fondements même de la république. Une république moderne repose, entre autres, sur des piliers comme la démocratie représentative et l'existence d'une presse indépendante et forte. Contre toute attente et malgré les paroles des oiseaux de mauvais augure - chez qui certaines arrières pensées politiques ne sont pas absentes - la démocratie représentative n'a pas à rougir de son fonctionnement dans notre pays. Il en va aussi de la presse qui n'a jamais été aujourd'hui aussi libre.

Gardons toujours à l'esprit que les sceptiques ont souvent été aux premières loges de l'Histoire pour enterrer de leurs sarcasmes et de leurs doutes la démocratie et les valeurs républicaines.

Eric Nicolier

La foire aux illuminés - Pierre-André Taguieff - Editions Mille et une nuits
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