« Le silence est le plus grand des mépris ». Ces derniers jours, une certaine personne aurait dû partir, dans l’indifférence et dans un silence médiatique assourdissant. Pourquoi offrir à cet ex-secrétaire général de la préfecture de la Gironde en charge du service des questions juives, condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité, une tribune médiatique politique à travers les interventions de son avocat, lors de son inhumation ? Est-il vraiment important pour l’Histoire de France de savoir qu’il soit enterré avec sa Légion d’honneur, reçue des mains du général De Gaulle, bien qu’elle lui ait été retirée, et qu’il ait été condamné pour « port illégal » de décoration ? L’histoire de cet homme montre qu’il s’est assis à plusieurs reprises sur les valeurs de la République et sur ces symboles.

Ces reportages « aux mètres » n’apportent aucune réponse aux questions des Français. Comment et pourquoi cet homme - comme beaucoup d’autres - a pu rester dans l’administration et dans le milieu politique français malgré sa participation active à la politique de Vichy. Comment et pourquoi cet homme de Vichy a pu recevoir une distinction de la République ?

Il reste encore des zones obscures autour de « l’armée des ombres ». Pendant trop longtemps - encore aujourd’hui ici et là -, on a laissé penser aux Français – mais surtout aux jeunes générations d’après guerre – que Vichy n’était pas la France et que nous pouvions être fiers d’elle par l'action de la Résistance une et indivisible. Mais les grandes phrases sont toujours plus simples que l’Histoire complexe qu’elles doivent camoufler.

Le livre de Pierre Péan « Vies et morts de Jean Moulin » (1) rappelle que la résistance était composée d’anti-envahisseurs, de nationalistes, de communistes, de cagoulards, d’ex-vichistes, de socialistes et de gaullistes, d’hommes et de femmes qui se sont levés pour la République et contre l’obscurantisme. Dans cette résistance plurielle, il régnait des oppositions fortes sur l’idée que chacun se faisait de l’après guerre : pro-russe, pro-américaine, pro-gaulliste, pro-républicaine... chaque réseau défendait son financement et son influence afin de mieux préparer l’avenir. Ces discordes et batailles ont très probablement coûté la vie au chef du CNR (Conseil National de la Résistance) Jean Moulin.Faut-il rappeler qu’aucune tentative de libération n’a été organisée pour libérer le Chef de la Résistance ?

Ce pluralisme a été camouflé à l’époque sans doute pour permettre de restaurer l’Etat Républicain Français le plus rapidement possible et dans une relative sérénité. Toutefois, le maillage idéologique de la Résistance explique certainement pourquoi et comment des personnes au moment de la libération aient pu rester en poste et avoir une seconde vie grâce à leurs relais constitués pendant l’occupation de part et d’autre des différents réseaux de vichy et de la Résistance.

Dans les années 80, des résistants répétaient à qui voulait bien l’entendre « vous ne pouvez pas comprendre ». Bien sûr, il nous est simple de « juger » avec le recul. Dans tous les cas, cela n’explique pas pourquoi et comment cet ex-fonctionnaire de Vichy, secrétaire général de la préfecture de la Gironde en charge du service des questions juives, ait pu devenir ministre du Budget de la République dans deux gouvernements de Monsieur Raymond Barre et ce aux cotés de Madame Simone Veil...

Il est temps de regarder notre Histoire les yeux dans les yeux et sans tabou comme l’ont fait des hommes et des femmes libres de tout poids du passé dans les années 70 en se lançant dans une traque des criminels vichistes qui ont pu vivre à l’ombre de la Liberté Républicaine. Les non-dits qui entourent ces reconversions acceptées et/ou tolérées par la France doivent être enfin totalement levés pour mieux comprendre notre Histoire et ses répercutions contemporaines.

Le livre de Pierre Péan « Vies et morts de Jean Moulin » permettra sans aucun doute, à travers le parcours de Jean Moulin, de mieux comprendre la diversité idéologique de la Résistance...

Lionel Fourré

1 -Vies et morts de Jean Moulin - Pierre Péan - Fayard